vendredi 29 mars 2013

Foglia

Je suis un lecteur de longue date de Pierre Foglia dans le journal La Presse. Son nom de chroniqueur n'est bien sûr plus à faire. Sa grande habileté à saisir une certaine réalité, qui parfois nous échappe, et son approche en porte-à-faux le démarquent dans le paysage médiatique et le rendent quelque part incontournable.

Souvent, après l'avoir lu, je me dis que j'aurais pu avoir la même idée que lui, sauf que c'est lui qui nous précède et, du coup, permet de faire émerger ce qui trotte en silence dans l'air d'un peu tout le monde.

Je signale que je ne suis toutefois pas un inconditionnel de sa praxis. Quand il parle de sports et, surtout, de vélo, je tourne la page. Non pas que le sport ne m'intéresse pas, mais je suis plutôt allergique à son approche en cette matière. Et quand, dans ses autres textes,  il joue trop fort la note de l'originalité - ce qui n'arrive pas trop souvent -, je pousse un soupir. D'un autre côté, s'il était en tout temps parfait, Foglia, peut-être que je ne le lirais pas du tout...

Tout ce préambule a pour objet de vous servir sur un plateau d'argent un extrait d'une de ses dernières chroniques. L'esprit de ce texte s'est tout à fait imprégné dans mon cerveau, tellement je trouve réelle "l'absence de présence" de beaucoup de gens. Beaucoup de  gens sont là, dans nos vies, mais fondamentalement absents:

Le trou
Il y a quelques jours, un articulet dans notre journal racontait l'histoire d'un monsieur en Floride «avalé par un trou géant».
«Un habitant de Tampa a disparu après qu'un trou géant s'est soudainement ouvert juste sous sa chambre à coucher... les autorités ont découvert en entrant dans la maison un trou d'une dizaine de mètres de diamètre et 30 mètres de profondeur.»
Aux nouvelles de NBC, on nous a montré la maison de ce monsieur Jeff Bush, un bungalow cossu, de l'extérieur on ne se doute de rien, on frappe à la porte, bonjour, madame, pourrais-je parler à Jeff?
Elle sanglote en menant le visiteur au bord d'un grand trou au bout du couloir: il est là.
La chose est plus fréquente qu'on le croit. Sauf qu'elle se présente rarement aussi dramatiquement. La plupart du temps, la personne disparaît dans un trou sans qu'il y ait de trou apparent. Qu'est-ce qu'un trou? Du vide. Le vide est partout autour de nous, entre les objets, entre les personnes, entre vous et moi: que des trous, que du vide.
Je disais donc que la plupart du temps, la personne disparaît dans un trou sans qu'il y ait de trou. Mieux que ça: la personne disparue est toujours là. On ne sait pas qu'elle est disparue. On ne s'en doute pas, elle mange, elle boit, elle fait pipi, elle regarde la télé (beaucoup), elle dit yé! quand ils annoncent à la radio qu'un Canadien a encore gagné l'épreuve des bosses aux championnats mondiaux des bosses, elle renoue ses lacets quand ils sont défaits, pourtant, elle n'est plus là. Elle a été vidée de l'intérieur. C'est ce que fait le vide: il évide.
La chose est plus fréquente qu'on le croit. C'est par centaines de milliers que des humains disparaissent chaque jour dans des trous, c'est juste qu'on ne s'en doute pas, ils mangent, ils boivent, ils font pipi, mais ils ne sont plus là.
Sont où? Dans la grande Béance elle-même. Sont retournés au magma originel.

Paru dans La Presse le 11 mars 2013 dans la chronique de Pierre Foglia.

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