Entendu à la table d'à côté. Les commentaires entre crochets sont les pensées que j'ai eues en écoutant le bavardage.
Il s'agit de deux couples boomers attablés au restaurant. Une femme assez boulotte, ses cheveux emprisonnés dans une permanente violette, prend la parole:
- Ah si vous saviez! C'était ma fête et mes merveilleux enfants voulaient organiser quelque chose pour moi. Vous me connaissez suffisamment pour savoir que j'aime la tranquillité, alors je leur ai dit de n'en rien faire et de ne pas se donner toute cette peine de dresser la table, de faire venir des convives, etc. Je suis comme ça, heureuse dans la simplicité, hein mon mari?
[Le mari en question mastiquait tranquillement sa bouchée de roast-beef, l'air à moitié vivant et à moitié mort. Une coulisse de sauce brune se faisait vilainement un chemin de sa lèvre inférieure vers la pointe de son menton. Après une petite pause pour essuyer la "bavure", il opine doucement de la tête, validant du même coup les propos de sa femme.]
- Eh ben imaginez-vous que mes enfants ont persisté dans leur désir de me faire plaisir. En fait, NOUS faire plaisir moi et mon mâri [sic]. Croyez-le ou non, ils m'ont relancé, mes aïeux! I' sont arrivés avec une proposition que je ne pouvais rejeter du revers de la main: chambres réservées dans un hôtel des Laurentides. Un forfait incluant trois repas par jour pour le long week-end de l'Action de Grâces. C'était l'automne passé, bien évidemment. Quelle expérience ! Personne n'était embarassé par la vaisselle ou le ménage. Je l'avoue, j'ai été impressionnée!. Et ils ont bien pris soin de me cacher la facture!
[À part le mari, les deux autres personnes semblaient presque intéressées par l'histoire. Un peu jaloux même.]
Le reste de la conversation était de la même eau: impôts, taxes, pension, rentes, magasinage, entretien de la maison, vacances etc. Rien que du concret. Rien que les vraies affaires de la vie: l'argent et son administration. Et même un petit mot sur les médicaments. La même boulotte tenait encore le crachoir:
- L'assurance médicaments. En té ka... Tsé, si je prends 450 pelules [sic] dans l'année, ça fait plus qu'une piastre par jour. À quoi ça sert, dis-le-moué, l'assurance-médicaments, hein? [C't'une franchise, c'est pas compliqué, chose!] On paye des taxes et quand on achète nos médicaments, faut encore payer. Les p'tites pelules rose, c'est les pires. Les plusss [sic] chers, pis l'gouvernement fât [sic] rien pour nous aider.
Son amie renchérit:
- C'est ben vrai. On paye tout le temps. À quoi ça sert le gôvernment [prononcé à l'anglaise] ! Quand on pense ki en a qui veulent leux [sic] études payés gratis! Dans quel monde on vit, j't'l demande!!
Sur cette phrase philosophique de grande envolée, nos quatres convives se sont levés et sont allés à la caisse pour payer la note du repas.
De mon côté, je me demandais si les fameux enfants en question étaient si gentils que la dame orgueilleuse le laissait entendre. Bien sûr, je ne le saurai jamais. Entre le geste fait en toute candeur et le calcul intéressé, tout cela intercalé par la perspective d'un certain héritage à venir, il y a une infinie de possibilités.
C'est dur la vie parfois.
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