Vers la fin de sa vie, Boxcar Bertha - dont le véritable nom est Bertha Thompson - a rencontré Ben Reitman, un médecin voué à la cause des malades des quartiers pauvres de Chicago. C'est son histoire, celle de Boxcar, qui aura inspiré l'idée d'écrire sa biographie à partir de ses confidences sous le titre de Sister of the Road: the autobiography of Boxcar Bertha. En français, cet ouvrage a été publié dans la collection 10/18 sous le titre de Boxcar Bertha.
J'ai été étonné par le portrait de l'Amérique du début du XXe siècle, tant le climat social se démarque de celui dont on est témoin aujourd'hui, celui du désenchantement contemporain. À cette époque, selon les propos de Boxcar, les Américains opprimés étaient capables de contestation et d'une pensée politique. Ils organisaient des mouvements indépendants d'entraide pour l'éducation, la nourriture et le logement. Au milieu de tout cela se croisait aussi des voleurs à la tire, des prostituées, des drogués, des paumés, des handicapés, bref tout ce qui n'appartenait pas à la société américaine courante. Malheureusement, malgré ces organisations, la tradition d'entraide et de soutien ne semble pas avoir traversé les décennies, si on regarde l'individualisme forcené des Américains. Il aura sans doute fallu de longues années de répressions policières et d'une pensée politique rétrograde pour en arriver là, comme en font foi les pages de l'Histoire récente.
Quelques extraits pour illustrer les propos éclairants de Boxcar Bertha:
[Sur les hobos]
Elles acceptaient sans ressentiment le fait d'être des produits du "système", de cette société qui vous embauche et vous débauche, de cette société ou les propriétaires doivent toucher leurs loyers. Seules quelques-unes n'avaient, à mon instar, pas besoin de l'endroit - des vagabondes qui ne faisaient que passer.
[Sur la démocratie]
Qui peut rester tranquille, pacifique en se contentant de voter? Même aujourd'hui, dans cette sinistre période de crise, tout ce que nous tirons du chaos c'est de voir les riches devenir toujours plus riches, puissants et arrogants et la masse des pauvres devenir plus soumise et s'accommoder de force d'un niveau de vie plus bas! Le seul espoir, c'est de voir des migrants refuser ce qu'on leur donne. Toi et les gens de ta trempe, vous êtes les derniers en Amérique qui aient encore une vraie notion de la liberté.
[Puissance du capitalisme]
"Plus j'en apprends sur le chômage, plus il y a de chômeurs. Plus je contribue aux causes antiguerre, plus il y a de guerres. Plus il y a de diplômés et de professeurs, plus il y a d'incertitude. Plus nous connaissons les incohérences et les injustices du capitalisme, plus il devient puissant." (Lowell Schroeder)
[Fatalité du capitalisme]
"Je croyais que je voulais être une missionnaire pour les hobos. Je m'aperçois maintenant qu'en dehors de les nourrir et les vêtir, on ne peut rien faire de valable sans transformer le système économique. Or, actuellement, ce cher grand public plébiscite le système capitaliste. J'espère que ce ne sera pas toujours ainsi. Ensuite, j'ai voulu aider les travailleurs sociaux et les spécialistes des sciences sociales. Mais plus J'enquête, plus je suis convaincue qu'ils ne sont que des instruments ignorants et manipulés par un système puissant." (Boxcar Bertha)
Boxcar Bertha. Ben Reitman. Éditions Christian Bourgois, Collection 10/18, no.2760